Le tritium, un élément radioactif méconnu

Le tritium (3H) est un isotope radioactif de l’hydrogène, c’est-à-dire qu’il comporte un proton, comme l’hydrogène, et a deux neutrons en plus1. Cet atome d’hydrogène radioactif s’insère donc dans l’eau et donc aussi au cœur des organismes vivants, jusque dans les cellules et dans les molécules de l’ADN. La contamination par le tritium se fait donc par la voie gazeuse (H2), liquide (eau tritiée appelée HTO) et par le tritium organiquement lié (TOL).

Normes concernant l’eau tritiée (HTO) 2

PaysValeurs seuil (Bq/L)dans l’eau potable
Canada7 000
UE100Valeur indicative3
Finlande30 000
Australie76 103
Russie7 700
Suisse10 000
USA740
Californie740Recommandé : 15 Bq/L
Manitoba7 000
Ontario20Valeur recommandée – ODWAC (Canada) 
UK100
Japon60 000Autorisation de déversement dans la mer : 1500 Bq/L
OMS10 000
Sources4


La variabilité de ces « normes » montre bien que ces valeurs ne découlent pas d’une recherche scientifique axée sur la sécurité sanitaire des travailleurs et des citoyens, mais résultent de simples décisions administratives avalisées par des autorités politiques conseillées par des experts dont le nom est parfois gardé secret, ce qui est souvent le cas à l’Euratom…

Pour l’OMS, le seuil est de 10 000 Bq/L pour l’eau tritiée. Ceci a été calculé en considérant qu’une personne buvant chaque jour une eau contenant 10 000 becquerels de tritium par litre ne devrait pas recevoir une dose de rayonnement supérieure à 100 μSv/an, soit le dixième de l’apport maximal recommandé dû à la radioactivité artificielle (1 mSv/an).
Le seuil de 100 Bq/L Européen n’est pas une valeur limite, mais une valeur indicative à partir de laquelle il faut investiguer et vérifier s’il n’y a pas d’autres sources radioactives, elle est officiellement inférieure à un risque sanitaire.

Au Japon, le maximum actuel est de 60 000 Bq/L dans l’eau potable, mais, une fois dilué, de 1500 Bq pour le déversement dans la mer du fameux stock d’eau tritiée dont la contamination doit être inférieure ou égale à ce maximum pour « respecter les normes »…

Critique de la détermination du seuil « sanitaire » de 10 000 Bq/L par l’OMS

La CRIIRAD a trouvé diverses erreurs techniques dans le calcul menant à ce résultat qui, toutes, tendent à minimiser les risques5, mais le pire est que la valeur guide choisie (10 000 Bq/L d’eau de boisson par an) consiste à accepter un risque de cancer bien plus élevé que ce qu’on « tolère » pour les polluants chimiques cancérogènes. Explication : le seuil « tolérable  » proposé par l’OMS pour un produit chimique suspect est de 1 cancer en excès sur 100 000 personnes exposées, soit 1 cancer induit par le polluant chimique pour 100 000 personnes consommant, tout au long de leur vie, une eau dont le niveau de contamination atteindrait la valeur guide pour ce produit.

En appliquant la valeur guide de 10 000 Bq/L de tritium sur l’eau de boisson de toute une vie, on obtient au moins 160 cancers en excès / 100 000 personnes, et un facteur de risque plusieurs centaines de fois supérieur à celui relatif aux valeurs guides des polluants chimiques cancérogènes…

La CRIIRAD conclut que la valeur guide déclenchant une investigation pour le tritium ne devrait pas dépasser 10 Bq/L !

Le TOL (Tritium Organiquement Lié)

La faible activité et dangerosité apparente du tritium doit être réévaluée par le fait que le tritium s’insère jusqu’à l’intérieur de la cellule, et peut ainsi tirer « à bout portant » ! Lorsque le Tritium remplace un atome d’hydrogène dans une molécule organique d’un organisme vivant, il peut rester plus longtemps dans n’importe quelle cellule ou n’importe quel organe, de 20 à 50 fois plus que l’eau tritiée. Le TOL est donc globalement plus radiotoxique que l’eau tritiée, car certains atomes de tritium se fixent longtemps à des endroits où ils sont nuisibles. Le Tritium se lie préférentiellement au carbone (C), mais il peut aussi s’insérer dans les molécules contenant de l’oxygène (O), du phosphore (P), de l’azote (N), du soufre (S) sous forme de TOL. N’oublions pas que l’hydrogène compte pour plus de 60% des atomes du corps humain et à peu près 10% en masse.

Alors que l’eau tritiée peut être évacuée complètement du corps humain après quelques dizaines de jours, le TOL peut rester plus d’un an dans les tissus biologiques, et se diffuser donc dans les chaînes trophiques, en plus de la voie de l’eau tritiée.

La croyance simpliste en l’innocuité de la dilution dans l’environnement est maintenant indéfendable, vu que le tritium peut se stocker dans les organismes vivants6. Normalement, il ne devrait pas y avoir d’accumulation, mais il y a des exemples non généralisables où la concentration en tritium est bien plus grande dans certains organismes marins que dans l’eau où ils vivent ! Cela se produit surtout quand la contamination s’étend sur une longue période, la proportion de TOL augmente dans l’organisme jusqu’à un équilibre entre absorption et élimination, et dans beaucoup de ces cas, il y a alors plus de tritium dans l’organisme que dans l’eau environnante. L’ASN reconnaît l’existence de ces cas, ne se prononce pas sur les explications ni sur la bioaccumulation, et propose d’améliorer les méthodes de détection et la recherche biologique7.

L’eau tritiée s’élimine assez rapidement des organismes vivants. Mais pour le TOL, une fois les organismes morts, les échanges d’eau et de matières s’arrêtent ou diminuent, et ce tritium lié peut donc rester piégé et s’accumuler longtemps (des années) dans les organismes morts et les sédiments8, qui sont une source de tritium pour les générations suivantes !

L’augmentation des leucémies infantiles autour des centrales nucléaires est-elle liée à une contamination radioactive ?

Dans l’article du Dr Ian Fairlie sur le sujet, que nous avons présenté et traduit en français, nous pouvons voir qu’il y a, selon plusieurs études, une augmentation des cas de leucémie infantiles dans les 5 km autour des centrales nucléaires étudiées. Corrélation n’est pas causalité : les statistiques utilisées nous disent simplement qu’on peut être sûr à 90 % que ces augmentations ne sont pas dues au hasard, mais sont liées à la présence des ces personnes près d’une installation électronucléaire. Évidemment si, comme le font certains gouvernements, on choisit un test à 95 %, cela devient « non significatif ». Mais ces augmentations sont bien réelles en Grande-Bretagne, en Suisse, en Allemagne, en France, et posent donc question, voir le tableau dans cet article : l’augmentation est de 37 % sur l’ensemble des cas étudiés dans les 4 pays. Même si les chiffres sont petits, ils sont tous en augmentation dans cette étude. Dans le proche voisinage du centre de recherche de Mol-Dessel en Belgique (< 5 km), Sciensano observe une incidence 3 fois plus élevée de leucémie infantile aiguë qu’en Belgique et les résultats sont statistiquement significatifs. Mais cette étude ne trouve pas d’incidence significative dans les 20 km autour de Doel et de Tihange. La contamination par un élément radioactif est à étudier. La connaissance exacte des doses reçues (uniques ou chroniques) par les populations autour des centrales nucléaires de ces études n’est pas suffisamment précise pour pouvoir affirmer que le tritium, ou un autre élément radioactif est lié à ces augmentations. Les expositions directes par irradiation, hors accident, sont à exclure de l’investigation. Cependant, il est clair que les normes sous-estiment très fortement, voire ne prennent pas en compte les effets de la contamination interne des polluants radioactifs, en particulier par le tritium, surtout « in utero ».

Dans un article ultérieur en 2014, Ian Fairlie précise :

« Début 2009, le débat a été en partie relancé par la célèbre étude KiKK (Kaatsch et al, 2008) commandée par le gouvernement allemand, qui a révélé une augmentation de 60 % du nombre total de cancers et de 120 % du nombre de leucémies chez les enfants de moins de 5 ans vivant dans un rayon de 5 km autour de toutes les centrales nucléaires allemandes. À la suite de ces résultats surprenants, les gouvernements français, suisse et britannique se sont empressés de mener des études à proximité de leurs propres centrales nucléaires. Toutes ont constaté une augmentation des cas de leucémie, mais comme les chiffres étaient faibles, ces augmentations n’étaient pas “statistiquement significatives”. En d’autres termes, on ne pouvait pas être sûr à 95 % que les résultats n’étaient pas le fruit du hasard. »

Mais on peut en être sûr avec 90 % de chances de ne pas se tromper qu’il y a un lien entre ces augmentations et le fait d’habiter dans la zone de 5 km autour de ces centrales nucléaires. Cette simple constatation interpelle, même si la cause exacte de ces augmentations ne peut actuellement être déterminée avec certitude.
De plus, une étude épidémiologique récente montre que les travailleurs du nucléaire ont plus de risque de mourir d’une leucémie.

« Le rejet en mer d’eau radioactive contaminée provenant du site nucléaire de Fukushima est-il acceptable ? Est-il sûr ? »

Dans cet article, le Dr Tim Mousseau, de l’Université de Caroline du Sud, a fait en 2023, une revue de la littérature scientifique concernant les conséquences biologiques de l’exposition au tritium. Il a trouvé ,parmi 70 000 références, seulement 250 concernant les aspects biologiques de cet élément souvent négligé .
« La première conclusion de cette étude est qu’il y a étonnamment peu d’informations sur un sujet qui préoccupe tant de monde. Il n’existe aucune étude publiée sur les effets du tritium sur les cancers humains, et très peu sur les effets du tritium dans les systèmes naturels. La grande majorité des études sur les effets du tritium ont été menées sur des organismes de laboratoire, ce qui rend l’extrapolation aux conditions naturelles délicate. Notre deuxième conclusion est que, contrairement à certaines idées reçues selon lesquelles le tritium est une source de rayonnement relativement bénigne, la grande majorité des études publiées indiquent que les expositions, en particulier celles liées aux expositions internes, peuvent avoir des conséquences biologiques importantes, notamment des dommages à l’ADN, une altération de la physiologie et du développement, une réduction de la fertilité et de la longévité, et peuvent entraîner des risques élevés de maladies, y compris le cancer. Notre principal message est que le tritium est une toxine environnementale très sous-estimée qui mérite un examen beaucoup plus approfondi. »

Et comme expliqué plus haut, des cas spécifiques d’accumulation de certaines formes de tritium dans les organismes marins ou des sédiments ont été observés, sans en faire une généralité. Le principe de précaution voudrait que des recherche sérieuses soient menées à ce sujet avant de procéder à des déversements dans l’environnement marin.
Notons que la France déverse chaque année beaucoup plus de tritium dans la manche depuis les installation de La Hague en Normandie que ce qui est déversé au Japon depuis le site Fukushima…
Et notons qu’ en un an, la Hague déverse dans la Manche au moins douze fois autant de tritium que tout ce qui se trouve dans les réservoirs d’eau de Fukushima !


Notes
1. Pour les détails techniques, voir les notions de base sur la radioactivité et ce rapport sur le tritium.
— La demi-vie du tritium est de 12,3 ans. Il émet des rayons bêta (des électrons !), de faible énergie, soit 5,7 keV.
— Un Becquerel (1 Bq) c’est une désintégration par seconde d’un élément radioactif.
La production naturelle de tritium, dans la haute atmosphère a conduit à une quantité de planétaire de 3.5 kg, auxquels il faut ajouter les restes des explosion nucléaires dans l’atmosphère.
Cela parait surprenant, mais comme le tritium gazeux a une activité de 360 TBq / gramme, il n’y a que quelques grammes dans tous les réservoir d’eau de Fukushima destinés à être déversés dans la mer, et près de 50g / an déversés par La Hague; mais la dangerosité de la radioactivité correspondante n’est absolument pas négligeable (1 TBq c’est 1012 Bq), même après une forte dilution !
Les futurs réacteurs à fusion thermonucléaire (ITER et ses successeurs) devraient produire et consommer du tritium par centaines de kg. Il faut craindre des fuites de tritium bien plus sérieuses qu’à Fukushima, qui seront très difficiles à maîtriser, comme l’explique Yves Lenoir : Changer l’or en plomb, l’alchimie de la fusion nucléaire .
2. Ian Fairlie : Les dangers du tritium et Wikipédia : Radiotoxicité du tritium
Le Dr Ian Fairlie a travaillé à la régulation des risques radiologiques créés par les centrales nucléaires pour le compte du gouvernement britannique.
3. L’UE n’utilise pas ce chiffre comme limite sanitaire, mais plutôt comme valeur indicative pour investiguer et vérifier la présence éventuelle d’autres radionucléides artificiels.
4. Sources :
Japan: Regulatory Standards for Discharging Radioactive Materials into the Environment
Tritium in USA (NRC)
Canada’s Nuclear Regulator & ODWAC
Livre blanc sur le Tritium (ASN)
5. Résumé de ces erreurs : en prenant le détriment radiologique (risque de décès associé à une exposition aux rayonnements ionisants) plutôt que le taux d’incidence (personnes dont un cancer a été diagnostiqué), en faisant des arrondis douteux et en oubliant les plus vulnérables, les fœtus et enfants en bas âge. Et en étant fort laxiste par rapport aux normes concernant les polluants chimiques cancérogènes.
Voir le document 1 et le document 2 de la CRIIRAD.
6. Expérience de laboratoire (en 2013) avec des moules Mytilus edulis :
« L’accumulation de tritium organique dans les tissus des moules provenant du phytoplancton tritié démontre l’existence d’une voie de transfert du tritium pertinente pour l’environnement, même lorsque les concentrations dans l’eau sont réduites, ce qui renforce l’affirmation selon laquelle le tritium organiquement lié agit comme un polluant organique persistant. »
7. L’ASN reconnaît en pages 9 et 10 du livre blanc du tritium l’existence de certains cas où il y aurait des différences de concentration entre l’eau tritiée et le TOL, mais ne se prononce pas : « En conclusion, le groupe considère que seules des campagnes de mesures environnementales appropriées, définies selon une approche scientifique, permettront de lever les doutes et d’apprécier les différents facteurs en jeu, notamment la répartition du tritium entre les différents compartiments (y compris la matière organique des sédiments) et pour les espèces vivantes, de mieux définir les composantes libre et organiquement liée du tritium… ». Le tritium étant 3 fois plus lourd que l’hydrogène, il faudrait étudier la possibilité que l’absorption et l’élimination du tritium dans le TOL puisse être légèrement différentes de celles de l’hydrogène dans certains cas. La rareté des recherches sérieuses en ce domaine profite au doute et à ceux qui en bénéficient !
Voir aussi Wikipédia : Le métabolisme du Tritium
8. Accumulation du tritium dans les sédiments de la Loire



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