Conflit en Ukraine : fortes inquiétudes en matière de contamination radioactive et de sûreté nucléaire

Mis à jour le 28/02/2020 à 09:41

Depuis le jeudi 24 février 2022, les troupes russes ont pris le contrôle du site de la centrale de Tchernobyl. Depuis des taux de radiation gamma plusieurs dizaines de fois supérieurs aux valeurs des jours précédents ont été mesurés dans cette zone.

Communiqués de la CRIIRAD :

25 février 2022

Aucun des 4 réacteurs n’est en fonctionnement (le dernier a été arrêté en 2000) mais la zone comporte de nombreuses installations à risque (entreposages de combustibles irradiés, sarcophage du réacteur n°4, désormais recouvert d’une arche qui n’est certes pas conçue pour résister à des obus), installation de traitement de déchets radioactifs et multiples entreposages de déchets radioactifs pour la plupart non sécurisés (un grand nombre étant enfouis en vrac dans des fosses simplement recouvertes d’une couche de terre). L’un des termes sources les plus préoccupants est l’entreposage en piscine des assemblages de combustibles irradiés déchargés des réacteurs n°1, 2 et 3. Tout doit être fait pour maintenir en fonctionnement leurs dispositifs de sûreté, ce qui implique que les équipes soient toujours en situation d’assurer les interventions.   Depuis la fin de journée du 24 février, un certain nombre de capteurs de mesure du taux de radiation gamma ambiant situés à proximité de la centrale de Tchernobyl et exploités par l’agence d’État Ukrainienne DAZV, qui gère la zone d’exclusion de Tchernobyl, ont enregistré une forte augmentation du niveau de radiation (multiplication par 20, 30 voire près de 40 selon les points), dans toutes les directions (nord, sud, ouest ou est de la zone) et jusqu’à une trentaine de km de distance, voire plus. D’autres capteurs, en revanche, ne montrent aucune augmentation. Le 24/02 matin, les vents soufflaient plutôt en direction de l’est-sud/est le matin avant de s’orienter du sud vers le nord dans l’après-midi.   Des recherches complémentaires doivent être conduites pour interpréter ces données. Si les débits de dose enregistrés correspondent à des valeurs réelles (par exemple passage d’environ 3 µSv/h à 65,5 µSv/h en quelques heures), la situation est extrêmement préoccupante. D’autant plus que l’on peut logiquement craindre que l’augmentation du rayonnement ambiant (risques d’irradiation externe) s’accompagne de la contamination de l’air, et donc de risques d’inhalation pour les militaires et les civils présents. Cependant, on ne peut exclure l’impact de perturbations électromagnétiques, voire d’une cyberattaque. Le laboratoire de la CRIIRAD s’efforce actuellement de vérifier et recouper les informations. Il suit également l’évolution de la pollution potentielle. Les vents soufflent actuellement en direction du nord et devraient tourner légèrement en direction du nord-nord/est dans l’après-midi.   L’inquiétude concerne également la sécurité des 15 réacteurs des 4 centrales nucléaires de Khmelnitski, Konstantinovka, Rovno et Zaporijjia. Évidemment, il est raisonnable de penser qu’elles ne constituent pas des objectifs militaires mais des situations de conflits sont toujours des situations à haut risque (on se rappelle le crash du vol de Malaysia Airlines, abattu par un tir de missile en 2014). Il est possible de diminuer le risque potentiel en arrêtant les réacteurs mais en matière d’électricité, l’Ukraine dépend à plus de 50% du nucléaire.

A Tchernobyl, les mouvements militaires pourraient expliquer l’augmentation du niveau de radiation
Ce matin (le 25/02) à 8h05, le SNRIU (State Nuclear Regulatory Inspectorate of Ukraine) a publié un court communiqué sur la situation radiologique dans la zone d’exclusion (environ 30 km autour de la centrale de Tchernobyl). Il indique que les données du système automatisé de surveillance montrent des dépassements des seuils de contrôle du débit de dose gamma en un nombre important de points d’observation. Faute de pouvoir accéder à la zone en raison des combats, il précise qu’il est à ce stade impossible de déterminer la cause de l’augmentation des valeurs.
À 9h, une mise à jour indique que les experts d’Ecocenter établissent un lien entre ces dépassements et la perturbation de la couche supérieure du sol due au déplacement d’un grand nombre d’engins militaires lourds dans la zone d’exclusion et à l’augmentation de la pollution atmosphérique.
Étant donné les niveaux de radioactivité encore très élevés des sols, cette hypothèse est tout à fait plausible (les incendies survenant régulièrement dans cette zone sont responsables d’importantes élévations de la contamination de l’air). En l’absence d’incendie, l’essentiel des poussières radioactives devrait retomber au niveau local et la fraction susceptible d’être inhalée devrait également être moins importante. Des protections respiratoires sont toutefois impératives, le sol contenant, outre le césium 137, du strontium 90, de l’américium 241 et des isotopes du plutonium (en plus du césium 137).
En octobre 2000, la CRIIRAD avait détecté par hasard un point très actif au bord de la route reliant la ville évacuée de Pripiat à la centrale de Tchernobyl. Le débit de dose gamma mesuré à 1 mètre du sol était de 247 microSieverts par heure soit une valeur 2 470 fois supérieure au niveau naturel typique. Le sol était très fortement contaminé par le césium 137 (2,7 millions de becquerels par kilogramme), par tout un cocktail d’autres substances radioactives (cobalt 60, antimoine 125, césium 134, europium 154, europium 155) ainsi que par de l’américium 241 (27 500 Bq/kg), qui est un indicateur de la présence de plutonium.
Ce même communiqué du SNRIU publié ce vendredi matin indique que « l’état des installations nucléaires de Tchernobyl et des autres installations est inchangé ». Une information plutôt rassurante. Peut-on en déduire que, malgré les affrontements, les communications sont maintenues avec les équipes et que celles-ci continuent d’assurer les interventions de sûreté sur le site de Tchernobyl ?
De source officielle, 12 des 15 réacteurs nucléaires étaient en fonctionnement ce matin (étaient déconnectés du réseau électrique le réacteur n°5 de la centrale nucléaire de Zaporizhzhya, le réacteur n°1 de Rivno et le réacteur n°2 de Khmelnitsky).


27 février 2022

Risques de dispersion de matières radioactives liés à la guerre en Ukraine 

La guerre qui a lieu en Ukraine fait courir des risques radiologiques considérables[1] aux populations de la région et bien au-delà.

A / Forte préoccupation concernant la situation radiologique dans la zone d’exclusion de Tchernobyl

Dans ses communiqués du 25 février 2022, la CRIIRAD a fait part de sa forte préoccupation quant à la situation dans la zone de Tchernobyl. C’est un sujet particulier d’inquiétude compte tenu de la quantité et de la nocivité des déchets radioactifs « entreposés » dans ce secteur.

Rappelons que de nombreux capteurs de radiation ont montré, à partir de la soirée du 24 février 2022 des valeurs très nettement anormales. Voir les communiqués CRIIRAD du 25 février 2022 sur la page http://balises.criirad.org/actu_guerre_Ukraine_2022.html. Ces capteurs sont désormais « inactifs », il est donc difficile de déterminer si la situation radiologique a tendance à se normaliser aux alentours de la centrale de Tchernobyl ou si elle se détériore.

Les risques radiologiques à l’échelle régionale, voire bien au-delà, ne peuvent être sérieusement évalués tant que l’origine exacte de ces augmentations n’est pas établie avec certitude (artefact de mesure ? remise en suspension de matériaux radioactifs par des bombardements, incendies, passages d’engins militaires ? Atteinte à des installations de stockage de déchets radioactifs ?, etc.. ) et tant qu’on ne dispose pas de résultats de mesure de l’activité volumique de l’air ambiant dans la zone d’exclusion autour de Tchernobyl et ses alentours. On ne sait pas aujourd’hui précisément quelles équipes sont présentes sur le terrain pour garantir la sûreté des installations nucléaires du secteur.

B / Autres installations nucléaires impactées en Ukraine

Les bombardements et les combats en cours ont touché d’autres installations de stockage de déchets radioactifs en Ukraine.

Le 26 février le State Nuclear Regulatory Inspectorate of Ukraine (SNRIU) avait indiqué qu’un transformateur électrique avait été endommagé sur un site de stockage de déchets radioactifs dans la ville de Kharkiv à l’est du pays, apparemment sans que ne soient signalés des rejets radioactifs.

Ce dimanche 27 février, le SNRIU a confirmé à l’Agence Internationale de l’Energie Atomique[2] que des missiles ont touché un site de stockage de déchets radioactifs de la State Specialized Enterprise « Radon » à Kiev. Le dispositif de mesure de la radioactivité a été rétabli dans la matinée. Il n’y aurait pas pour l’instant d’indication de dispersion de matières radioactives.

Dans les deux cas, il s’agit d’installations de stockage de sources radioactives périmées et de déchets radioactifs de faible activité provenant de l’industrie et des hôpitaux. Les risques radiologiques pour les personnels et les riverains pourraient être très significatifs en cas de dispersion de matière radioactive. Mais les conséquences pourraient être véritablement catastrophiques en cas d’atteinte grave sur toute ou partie des 15 réacteurs électronucléaires ukrainiens (regroupés sur les 4 sites de Khmelnitski, Konstantinovka, Rovno et Zaporijjia) ou sur la zone de Tchernobyl.


C / Données globales sur le niveau de radiation gamma ambiant en Ukraine

Le laboratoire de la CRIIRAD a consulté les données officielles de surveillance de la radioactivité atmosphérique disponibles pour les environs de Kiev pour la matinée du 27 février 2022.

Aucune augmentation du niveau de radiation n’a été enregistrée par les capteurs en fonctionnement, notamment par :

  • Ceux situés à proximité de Kiev (capteurs situés dans les villes de Horodok[3] et Malyn[3], respectivement à environ 20 et 30 kilomètres à l’ouest de Kiev), mais ce ne sont pas forcément les plus pertinents par rapport à la direction des vents ce matin (vents de nord en direction du sud)
  • • Ceux situés plus au sud dans la direction des vents mais plus éloignés (capteur dans la Ville de Balta[3] , à environ 300 kilomètres de Kiev et ceux de la surveillance des centrales ukrainiennes de Zaporijjia[4] et South Ukrainian[5]).

Les données des pays limitrophes ont également été consultées sur le site européen EURDEP[6]. Ce site centralise les résultats officiels de mesure de la radioactivité gamma ambiante en Europe.

Aucune augmentation de la radioactivité n’a été enregistrée en particulier en Russie, Biélorussie, Lituanie, Pologne ou encore Roumanie pour les stations les plus proches de l’Ukraine (à noter que la publication des résultats de mesure selon les pays n’est pas homogène : une seule mesure par jour pour la Russie et la Biélorussie, alors que les mesures pour les autres pays sont horaires).

NB : pour l’instant le réseau de balises de surveillance de la radioactivité atmosphérique que gère la CRIIRAD en vallée du Rhône n’a mis en évidence aucune anomalie radiologique voir http://balises.criirad.org/

Rédaction : Jérémie MOTTE (responsable du service Balises) et Bruno CHAREYRON (directeur du laboratoire). Approbation : Yves GIRARDOT (directeur général).
 

1Voir par exemple l’article de RFI du 26 février 2022 citant la CRIIRAD : https://www.rfi.fr/fr/europe/20220226-ukraine-interrogations-autour-de-la-question-vitale-de-la-s%C3%A9curit%C3%A9-nucl%C3%A9aire

2 https://www.iaea.org/newscenter/pressreleases/update-3-iaea-director-general-statement-on-situation-in-ukraine

3 Sur le site https://www.saveecobot.com/en/platform/gcsk (qui reprend les données du site officiel https://gcsk.gov.ua/radionuklidnij-monitoring/)

4 Sur le site https://www.saveecobot.com/en/platform/znpp (qui reprend les données du site officiel https://www.npp.zp.ua/)

5 Sur le site https://www.saveecobot.com/en/platform/sunpp (qui reprend les données du site officiel https://www.sunpp.mk.ua/)

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La Fin du Nucléaire ?

La peur.

Faut-il faire peur aux gens ? Oui, si vous souhaitez maîtriser leurs âmes… ceux qui agitent un possible black-out l’ont bien compris. Nous, nous nous y refusons.

Le danger.

Faut-il laisser la population dans l’ignorance des dangers du nucléaire ? Oui, pour préserver notre santé mentale à tous, s’il faut en croire la surprenante conclusion d’un rapport d’experts de l’Organisation Mondiale de la Santé¹. Nous nous y refusons tout autant.

La désinformation.

Doit-on dès lors répandre de fausses nouvelles, si celles-ci ont pour effet de rassurer les lecteurs ? De grâce, laissons cela aux influenceur•ceuse•s en manque de clics sur les réseaux sociaux et aux présidents de partis en manque de voix !

Les faits.

Un drame s’est produit à Fukushima, il y a exactement 4000 jours, ce 21 février… un tel drame est-il plausible à Tihange ou à Doel ?

Certainement qu’un tsunami tel que celui qui s’est produit à Fukushima ne frappera pas la Belgique… mais force est de constater que la crue dramatique de mi-juillet dernier, qui a dévasté la vallée de la Vesdre, en avait bien des points communs.

Ce n’est cependant pas le tsunami en tant que tel qui est la cause de la catastrophe là-bas : c’est une vulgaire panne de courant, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Les générateurs de secours, noyés par la vague, n’ont pu remplir leur rôle… 3 pannes de courant sur 3 réacteurs distincts ont conduit à 3 catastrophes identiques, étalées sur la semaine qui a suivi le tsunami.

En bord de Meuse, le mur de protection de notre centrale avait heureusement été relevé en réponse à cela : il est désormais capable de « résister » à un débit de 2500 mètres cubes d’eau mosane par seconde. La valeur habituelle de ce débit est de 50… on a de la marge, croit-on… mais, cet été, à Liège, le débit est monté jusque 3000 !

Il ne faut pas avoir fait des études d’ingénieur pour se rendre compte qu’avec plus de 2400 m3/s, on est donc passé tout près de cette limite, à Huy.

Une coupure de courant aussi dramatique est-elle ici moins plausible ? Notre ABSL, « Fin du Nucléaire », qui compte quelques centaines de membres qui ont réfléchi à la question, n’oserait jamais l’écrire ! Les compagnies d’assurance, qui refusent de couvrir un tel risque, sont de notre avis également.

Ce qui est prévu.

Notre gouvernement a défini — et c’est une très bonne chose — le cadre des actions à prendre par les bourgmestres de nos communes, en cas d’urgence nucléaire².

L’annexe bilingue de ce document fait plus de 200 pages. Elle mentionne 257 fois le mot « contamination », mais précise comment l’évacuation des populations sera faite pour l’éviter.

Presque toutes les communes de Belgique sont concernées.

Vous pouvez savoir si vous faites partie des 3 227 309 personnes³ qui devraient quitter leur maison, leur commerce, leurs terres agricoles et leurs voisins, leurs amis en visitant la carte interactive sur le site de notre association — findunucleaire.be/map !

En conclusion.

Il n’y a pas d’interrupteur qui nous permet d’éteindre une vague mortelle, que son origine soit sismique ou météorologique… mais il y en a un, législatif, qui permet d’éteindre nos centrales. Il ne nous reste qu’à l’activer. Tout est prêt : l’accord de gouvernement, le feu vert de l’Europe au mécanisme CRM… basé sur la fermeture des 7 réacteurs en 2025.

Des experts renommés⁴ nous annoncent aussi qu’on peut en effet se passer des deux derniers réacteurs… les membres de notre ASBL n’ont trouvé aucun argument pour invalider leurs conclusions. La légère augmentation de la production belge de CO₂, due aux centrales à gaz utilisées en cas de forte demande de courant, est compensée au niveau européen.

Engie, l’exploitant de nos centrales, a indiqué que des années de travaux devront précéder toute prolongation. Le milliard d’euros nécessaire au rafistolage de celles-ci ne serait-il pas mieux investi dans la recherche sur le stockage d’énergie, dans la mise en place des moyens qui nous permettront de réduire notre consommation ?

Tout le monde nous dit que le risque zéro n’existe pas… le meilleur moyen d’éviter un problème n’est-il pas de se mettre dans une situation où ce problème ne peut arriver ?


¹ « La solution la plus satisfaisante pour l’avenir des utilisations pacifiques de l’énergie atomique serait de voir monter une nouvelle génération qui aurait appris à s’accommoder de l’ignorance et de l’incertitude. » https://apps.who.int/iris/handle/10665/37054

² « Plan d’Urgence Nucléaire et Radiologique pour le Territoire Belge » — arrêté royal du 1er mars 2018. http://www.jurion.fanc.fgov.be/jurdb-consult/consultatieLink?wettekstId=26393

³ 1 727 708 en cas d’accident à Doel, 1 499 601 en cas d’accident à Tihange. Chiffres de 2021, fournis par Statbel et basés sur la population habitant les communes à considérer dans un rayon de 30 km autour des centrales — la distance utilisée à Fukushima. Pour information, le gouvernement américain avait conseillé un rayon d’évacuation de 80 km, pour ses ressortissants.

⁴ Energyville https://www.energyville.be/en ainsi que les organismes de distribution et de régulation (ÉLIA, CREG,…)

Yves Cochet : « L’échec du nucléaire »

Tribune.

En dépit des soixante-dix ans de recherche et de développement de l’énergie nucléaire, cette filière demeure un échec engendré par une liste de revers tels qu’un seul d’entre eux suffit à ruiner toute perspective de réussite durable. Le nucléaire ne contribue aujourd’hui qu’à 5 % de la fourniture d’énergie mondiale et à 10 % de la production d’électricité, cette part ne cessant de baisser depuis vingt- cinq ans, tandis que la part des renouvelables électriques a désormais dépassé celle du nucléaire.

Après Hiroshima et Nagasaki en août 1945, le virage civil du nucléaire devait inaugurer un âge d’énergie abondante et bon marché, ce qui fut rétrospectivement une déconfiture dans l’un et l’autre cas. Quant à l’abondance, dès les années 1950, s’est posée la question des réserves de l’uranium fissile, avec une réponse géologique décevante : assez tôt, il n’y aura pas assez de ce minéral pour approvisionner les réacteurs en combustible, sauf si la filière des surgénérateurs est mise au point et développée.

Sur le papier, ces réacteurs devaient produire plus de matériaux fissiles qu’ils n’en consomment ! Des surgénérateurs ont été érigés ici ou là, notamment en France qui se devait d’avoir le plus puissant du monde, Superphénix, à Creys-Malville (Isère), démarré en 1985. Echec piteux et abandon de ce fleuron après quinze ans d’existence et douze milliards d’euros de coût. Il reste quelques prototypes de surgénérateurs en service actuellement. Pas de surgénérateurs signifie qu’il n’y a pas d’âge du nucléaire, dit le physicien Ugo Bardi.

Gestion des déchets et démantèlement

Un second revers dirimant apparut lorsqu’on s’aperçut qu’en aval de la filière nucléaire il fallait résoudre les problèmes de la gestion des déchets et du démantèlement des réacteurs. Le volume et la toxicité des déchets furent bientôt tels que l’on s’obligea à rechercher l’existence de réponses à cette question, à coût raisonnable. Cela fait maintenant soixante ans que l’on cherche, sans trouver. On stocke dans quelques endroits discrets, en emballant les différents types de déchets dans des fûts ou des conteneurs dont on espère qu’ils pourront confiner la radioactivité, notamment pour 95 % de celle-ci en provenance des déchets de haute activité et à vie longue (plusieurs milliers d’années).

Selon la règle générale de dérive des coûts et d’extension des délais, exemplairement illustrée par le projet insensé de l’EPR de Flamanville, le démantèlement lui aussi ne cesse de dériver à chaque évaluation. Ainsi, pour le petit réacteur (70 MWe) de Brennilis, en Bretagne, le coût du démantèlement, évalué à une vingtaine de millions d’euros en 1985, est aujourd’hui évalué à 850 millions d’euros (quarante-deux fois plus !) pour une fin du chantier en 2040 (cinquante-cinq ans après son arrêt !). Les fantaisies d’évaluation des délais et des coûts, néanmoins toujours à la hausse, m’incitent à parier que la majorité des réacteurs nucléaires, en France et dans le monde, ne seront simplement jamais démantelés. Bon courage aux générations futures.

Plutôt que de tenter d’estimer le coût du nucléaire, mission impossible même en France où le président Macron lui-même avoue l’ignorer, jetons un regard en biais en examinant le rapport 2017 de l’Institut allemand en recherche économique (DIW). Les prix de l’électricité étant très volatiles tandis que les coûts de production sont fixes, les investissements nucléaires ont toujours été soutenus ou garantis par les Etats. Sans subventions continuelles, pas de nucléaire. Et sans nucléaire militaire, pas de nucléaire civil.

Le rapport montre que l’immense majorité des 674 établissements nucléaires construits depuis soixante-dix ans l’ont été pour des raisons militaires et non civiles, par la séduction de la puissance prodigieuse de la bombe et pour la reconnaissance respectueuse du pays possesseur par les autres, et non pour la rentabilité économique de vente du kWh. L’étude allemande montre que la perte nette d’un réacteur nucléaire de 1 GWe se situe entre 1,5 et 8,9 milliards d’euros selon les variations du prix de gros du MWh et celles des coûts d’investissement. Quel entrepreneur privé investirait lourdement dans une filière qui n’est pas rentable ?

Spéculation ingénue

Plus grave, enfin. L’indubitable fascination des humains pour la force hallucinante du nucléaire relève de la croyance religieuse, celle de la toute-puissance. Au cours de l’évolution, l’espèce humaine n’a jamais construit un artefact de cette amplitude-là, au point que l’on peut qualifier le phénomène nucléaire de « supraliminaire », c’est-à-dire qui dépasse les capacités cognitives du cerveau humain, notamment dans ses conséquences funestes.

C’est ainsi que le philosophe Günther Anders (1902-1992) nomme les gestes qui anesthésient toute conscience : « Non seulement nous ne pouvons pas imaginer, nous ne pouvons pas ressentir, nous ne pouvons pas répondre de la “chose”, mais nous ne pouvons même pas la concevoir », écrit Anders à propos du nucléaire civil et militaire. Enfin, on peut étendre ces considérations à des événements futurs : les penseurs et acteurs du nucléaire de masse sont des idéalistes irresponsables qui tentent d’annihiler l’histoire en construisant un empire industriel pour mille ans, sans considérer les conditions sociales et anthropologiques impossibles à réunir pour réussir ce pari fou.

En effet, le nucléaire, civil ou militaire, réclame des sociétés stables et technologiques afin d’empêcher toute interruption de la chaîne nucléaire, du minerai au kWh ou à la bombe ; des sociétés possédant suffisamment de personnels qualifiés et de dispositifs techniques pour maintenir longtemps un niveau de fonctionnement, de sécurité et de sûreté.

Qui peut raisonnablement parier que, en 2100, toutes choses n’étant pas égales par ailleurs, les conditions d’habitabilité de la Terre et les configurations politiques mondiales garantissent encore cette stabilité et cette technicité nécessaires à l’opérationnalité du nucléaire ? C’est s’aveugler devant les événements sanglants qui accompagnent régulièrement l’histoire humaine – comme nous l’ont montré les guerres du XXe siècle –, c’est croire à la grande illusion de la paix et de la fraternité désormais définitivement établies entre les peuples, c’est spéculer ingénument sur la rationalité immuable de nos dirigeants.

Yves Cochet (Ancien ministre français de l’environnement)

Décès de Mr Paul Lannoye, membre fondateur de notre association, le 04/12/2021

Paul Lannoye fut un pionnier de l’écologie politique en Belgique ainsi que de la prise de conscience des dangers du nucléaire, bien avant Tchernobyl, dès la construction des premières centrales dans notre pays, ainsi que des diverses menaces envers notre environnement et notre humanité. Il porta la voie de l’écologie jusqu’au Parlement Européen et nous indiqua des voies d’action pour tenter de remédier à ces tendances destructrices.

Paul fut un des fondateurs de notre association, c’est pourquoi les administrateurs de FdN transmettent leurs condoléances à la famille de Paul Lannoye, ainsi qu’à ses collaborateurs de l’association « Grappe », qui nous a également soutenus dans notre lutte contre l’armement nucléaire et les nuisances de l’industrie électronucléaire